Emilio Terry (1890-1969)
Architecte, dessinateur, décorateur et paysagiste, Emilio Terry (1890-1969) est une figure singulière du monde des arts décoratifs de l’entre-deux-guerres. Héritier d’une grande famille cubaine, formé dans les milieux cosmopolites et intellectuels de Paris, Terry conçoit une architecture et un mobilier inspirés librement de références classiques, de Palladio à Claude-Nicolas Ledoux, tout en y infusant un goût pour l’étrangeté poétique. Il forge ainsi le concept de « style Louis XVII », une expression d’un classicisme imaginaire, jamais réellement historique, mais toujours évocateur.
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L’influence du patrimoine français, et particulièrement du château de Chenonceau, propriété de sa famille, est également décisive. Terry est marqué par le dessin de Philibert Delorme, par les galeries en enfilade, les proportions majestueuses et les ornements néo-antiques. Ce lieu nourrit son goût pour un art français inspiré par l’Italie, pétri de symétrie, de raffinement, et de références érudites.
Dans sa pratique artistique, Emilio Terry est un autodidacte. La guerre l’empêche de suivre une formation aux Beaux-Arts, ce qui le tient à distance de l’éclectisme académique de l’époque. Il se plonge alors dans les grands traités d’architecture italiens de Palladio et Vignole. Il développe ainsi une pensée profondément personnelle, nourrie par une admiration pour l’architecture visionnaire, utopique et grandiose de la fin du XVIIIe siècle.
Ses créations se déploient dans tous les domaines des arts décoratifs : meubles, objets, tapis, maisons, jardins. Parmi ses premières œuvres marquantes figure la desserte Monogramme (1928), en fonte d’aluminium, qui témoigne déjà de son goût pour les formes puissantes et symboliques. Il réalise également une console « rocheuse » (1926) pour le château de Clavary, s’inspirant des bénitiers de Pigalle à Saint-Sulpice, ou encore une table marquetée en bois précieux, de style Restauration, qui resta longtemps au château de Rochecotte.
Dans les années 1930, une période de bouleversements, Terry poursuit une voie singulière : il propose une architecture qui emprunte à la nature – rochers, coquilles, drapés – non comme ornement, mais comme matière constitutive des parois mêmes de l’habitat. Pour lui, la fonction naît de la beauté : l’architecture doit délivrer un message « vraiment humain », mêlant poésie et rigueur formelle. Mais c’est aussi durant cette décennie qu’il entame une collaboration décisive avec Jean-Michel Frank, maître du luxe minimal. Dans cette synergie féconde, Emilio Terry côtoie Alberto Giacometti, Christian Bérard, Paul Rodocanachi, et contribue à l’élaboration de meubles iconiques, comme une banquette néo-classique ou une console en bois, conçus pour la boutique de Frank ouverte en 1935.
En 1933, ses dessins sont exposés à la galerie Jacques Bonjean, fréquentée par de Chirico et Dalí. En 1936, certains sont repris pour la célèbre exposition « Fantastic Art, Dada and Surrealism » au MoMA de New York, affirmant son appartenance à une création visionnaire, à mi-chemin entre utopie classique et surréalisme poétique.
Il conçoit également des intérieurs raffinés, comme celui de la maison basque Calaoutça pour la princesse Bibesco, en collaboration avec Jean Hugo, descendant de Victor Hugo. Mais il imagine aussi des architectures idéales, à l’image de sa maison en colimaçon, une maquette de demeure à double spirale, reflet d’une pensée où l’architecture n’est plus un cadre, mais un rêve habitable.
Redécouvert tardivement, Emilio Terry incarne aujourd’hui une figure culte du décor onirique et érudit, à la croisée du classicisme, de l’utopie et du surréalisme.


